4/18/2009

Fuir

"Je marchais dans la nuit tiède, perdu dans mes pensées, remontais Nanjing Road, indifférent au bruit et à l'animation des boutiques illuminées de néons chamarrés. Mes pas aimantés par le fleuve, je finissais toujours par déboucher sur le Bund, accueilli par son air marin et ses embruns. Je traversais le passage souterrain, et je déambulais lentement le long du fleuve, laissant traîner le regard sur la rangée de vieux bâtiments européens aux toits illuminés qui éclairaient la nuit d'un halo de lumière verte dont les pâleurs d'émeraude se réflétaient en tremblant dans les eaux du Huangpu. Sur l'autre rive, par delà les flôts encrassés de déchets végétaux, boues et algues qui stagnaient dans l'obscurité dans un ressac majestueux en suspension à la surface de l'eau, se lisait dans le ciel comme dans les lignes de la main la ligne futuriste des gratte-ciel de Pudong, avec la boule caractéristique de l'Oriental Pearl, et plus loin, sur la droite, comme en retrait, modeste et à peine éclairée, la majestée discrète de la tour Jinmao. Accoudé au parapet, pensif, je regardais la surface noire et ondulante du fleuve dans l'obscurité, et je songeais à Marie avec cette mélancolie rêveuse que suscite la pensée de l'amour quand elle est jointe au spectacle des eaux noires dans la nuit."

Fuir - Jean-Philippe Toussaint ( Minuit)

Aucun commentaire: